Revue de presse

"Ce qu’a vraiment dit et écrit Pap Ndiaye" (lepoint.fr , 23 mai 22)

26 mai 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Laïcité, racialisme, indigénisme, « privilège blanc »… « Le Point » a décortiqué les déclarations et les écrits du nouveau ministre de l’Éducation nationale.

Par Clément Pétreault

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[...] On a ainsi vu tourner en boucle ses déclarations au Monde en juin 2021 dans lesquelles il dit partager la plupart des causes des militants woke français, « comme le féminisme, la lutte pour la protection de l’environnement ou l’antiracisme »… Citation généralement amputée du passage dans lequel il désapprouvait « les discours moralisateurs ou sectaires de certains d’entre eux », se définissant finalement « plus cool que woke ».

Ni un identitaire ni un indigéniste

Pap Ndiaye se montre sensible à des thèmes et des méthodes directement inspirés de la sociologie américaine, c’est certain, mais il n’est ni un identitaire ni un indigéniste. Il lui est arrivé de débattre avec des militants décoloniaux énervés, certes, – y compris dans le cadre d’une réunion « en non-mixité racisée » –, mais ce serait lui faire un procès hâtif que de le considérer comme un militant, il est toujours resté un chercheur.

Enfin, si cet universitaire de 56 ans a développé au cours de sa carrière un certain nombre de positions dont on peut débattre – notamment sur les micro-agressions, le blackface ou le retrait du mot race dans la Constitution –, personne ne peut le soupçonner de vouloir briser les institutions, à l’inverse du camp indigéniste, qui rêve de voir sombrer la République.

« À la recherche d’une troisième voie »

Pap Ndiaye n’utilise pas les mots qui fâchent (refusant, par exemple, de parler de « privilège blanc » ou de « racisme d’État »), ne se rend pas ou très peu à des événements militants, limite ses interventions médiatiques à ses domaines de spécialité et évite soigneusement de se laisser enfermer dans des débats sur la laïcité, par exemple. Il fait partie de ceux qui sont persuadés que l’on peut trouver un compromis entre la ligne woke et la ligne républicaine : « Je suis un produit de l’école républicaine française et de l’affirmative action américaine [politique de quotas ethniques, NDLR] », confiait-il dans une interview dès 2009.

« Pap n’est ni un diviseur ni un provocateur, mais un conciliateur, un pacificateur. On le lui reprochera aussi, mais c’est son tempérament, sa manière de voir les choses », expliquait d’ailleurs au Point sa sœur, la romancière Marie NDiaye, peu après la cérémonie de passation. « Pap Ndiaye connaît bien le modèle américain, mais ce serait faux de dire qu’il cherche à l’importer ici. Il a conscience que le modèle américain et le modèle français sont en crise, il est à la recherche d’une troisième voie », souligne l’un de ses collaborateurs au musée de l’Histoire de l’immigration, qui estime que la personnalité du nouveau ministre de l’Éducation le rend par nature imperméable à la radicalité : « C’est un homme qui déteste le conflit, il est toujours à la recherche de consensus et se méfie beaucoup des milieux militants. »

Ses convictions sont profondes, mais il sait les habiller d’une certaine rondeur et il sait trouver les angles d’attaque les plus consensuels : « Il préférera parler de “promotion de la diversité”, plutôt que de “lutte contre les discriminations”, c’est moins clivant », résume son ex-collaborateur, inquiet de voir son ancien directeur « rejeté par tous les camps à force de vouloir mettre tout le monde d’accord ».

Une approche intersectionnelle des inégalités

Très influencé par son séjour aux États-Unis dans les années 1990, Pap Ndiaye est revenu en France équipé de tout l’attirail intellectuel de l’universitaire multiculturaliste à l’anglo-saxonne. En 2006, il participe à la rédaction de l’ouvrage collectif dirigé par Éric Fassin De la question sociale à la question raciale ?, texte fondateur qui marque le début de l’importation des catégories raciales dans la recherche française.

Dans le très documenté chapitre qu’il consacre à la progressive racialisation de l’identité française, il explique comment le développement de l’empire colonial a instauré une rupture avec « l’idéologie républicaine […] théoriquement indifférente aux couleurs de peau et aux autres caractéristiques physiques ». Il plaide pour une approche intersectionnelle des inégalités et déplore l’absence de statistiques ethniques pour y parvenir. « Gageons que des travaux futurs sur l’idéologie de la blancheur française comme constitutive de l’identité́ nationale, en relation avec des facteurs de genre, de classe et d’appartenance régionale, remettront en cause les idées reçues sur le fameux universalisme républicain », écrit-il alors. « Pap Ndiaye estime que ceux qui expérimentent les mêmes discriminations vont avoir tendance à se regrouper en communautés, analyse Damien Saverot, chercheur à l’ENS, spécialiste des mobilisations politiques en lien avec l’immigration postcoloniale. Pour lui, reconnaître ces communautés ne remet pas en cause le pacte républicain. »

Sur les questions républicaines justement, le nouveau ministre de l’Éducation devra gérer l’héritage de Jean-Michel Blanquer, qui avait fait de la laïcité un pilier de son action politique, en installant, notamment, un conseil des sages. Prudent, Pap Ndiaye s’est toujours abstenu de se prononcer publiquement sur les questions de laïcité. On le dit cependant proche du sociologue François Héran, grand pourfendeur de la « ligne laïque ultrarépublicaine » et partisan d’une laïcité plutôt accommodante avec les religions.

Cette laïcité (promue un temps par le duo Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène à la tête de l’Observatoire de la laïcité, dissoute en 2021) a été liquidée par Marlène Schiappa pendant le premier quinquennat. Il est probable, étant donné la nature de ses travaux universitaires, que le nouveau ministre de l’Éducation nationale soit plus en phase avec la ligne multiculturaliste. Pour autant, rien ne laisse croire qu’il aurait reçu pour mission de solder l’héritage Schiappa-Blanquer sur les questions de laïcité… « Pour nous, c’est quand même un coup dur. Mélenchon aurait gagné que ça ne ferait pas une grande différence », confie un des membres du conseil des sages de la laïcité de l’Éducation nationale, encore sonné par cette nomination, mais plutôt confiant sur l’idée d’un statu quo institutionnel.

Trop blanc pour certains, en somme…

Certaines figures de la gauche républicaine se montrent en revanche beaucoup plus inquiètes : « Pap Ndiaye n’est peut-être pas un indigéniste revendiqué, mais il pense comme les indigénistes, il l’a prouvé lorsqu’il s’est opposé au retrait du mot race de la Constitution, s’emporte Fatiha Agag-Boudjahlat, militante laïque et candidate à la députation en Haute-Garonne. Pour ces gens, la laïcité est une entreprise de réduction de la diversité, car elle passe par une réduction de la visibilité », analyse-t-elle.

L’ex-directeur du musée d’Histoire de l’immigration et conseiller scientifique du Cran (Conseil représentatif des associations noires) a été jugé beaucoup trop mesuré par les militants de la mouvance indigéniste, qui lui reprochent de ne pas suffisamment remettre en cause l’ordre républicain, de s’inscrire dans un cadre trop institutionnel, d’être trop consensuel, trop mou… Trop blanc en somme. « Ndiaye parle beaucoup de l’esclavage et du colonialisme, c’est vrai. Se risque-t-il cependant à contester vraiment la mythologie républicaine ? […] malgré quelques passages ambigus, il n’établit jamais de lien structurel entre la période actuelle et l’esclavage/colonisation. Plus : il ne cache pas sa défiance vis-à-vis d’une telle approche », regrettait le militant Sadri Khiari, cofondateur des Indigènes de la République, dans un texte au vitriol publié en janvier 2010 (élégamment intitulé : « Pap Ndiaye tire à blanc »).

L’auteur de cette injonction à la radicalité s’offusque de ce que Pap Ndiaye considère le lien entre colonialisme et racisme contemporain comme « un raccourci regrettable » produit par un milieu militant cédant aux évidences trompeuses. Le militant accable l’universitaire : Pap Ndiaye n’oserait pas « nommer la race », il se contorsionnerait pour employer « des mots qui n’incommodent pas trop les Blancs. […] Ce que Michael Jackson a tenté de faire avec son corps, Ndiaye essaie de le faire avec la notion de race », s’emporte l’ancien syndicaliste.

Mais il y a plus grave pour ce compagnon de route de Houria Bouteldjah : Pap Ndiaye ne se révèle ni antisémite ni même antisioniste. « Le Cran, l’association dont Ndiaye est un membre influent, ne cache plus ses relations avec le Crif, une corporation sioniste particulièrement impliquée dans la campagne islamophobe et le soutien aux politiques racistes menées par l’État français. Une telle stratégie est suicidaire pour la cause noire [et] risque de conduire [à] l’illusion d’une déracialisation qui s’interdirait de contester également l’ordre blanc républicain. » Certains reproches valent décidément tous les compliments…


Ce que Pap Ndiaye a réellement dit sur

  • Les violences policières
    « L’attitude de déni en ce qui concerne les violences policières en France est tout à fait classique, et depuis longtemps. Il y aurait des violences policières aux États-Unis, mais, en France, il n’y en a pas, puisqu’on vous dit qu’il n’y en a pas. Et d’ailleurs nous sommes en République. […] On ne peut plus simplement renvoyer cette question à un autre pays, comme si nous nous étions miraculeusement protégés d’une réalité qui est pourtant évidente, qui est celle d’une partie de la jeunesse française : les contrôles au faciès, les difficultés avec la police, parfois les violences. » (France Inter, 2020)
  • La suppression du mot race dans la Constitution
    « On fait un beau geste, on est contents du point de vue philosophique, mais, du point de vue de l’action, on opère un recul […] bien que la race soit évidemment complètement invalidée d’un point de vue scientifique, elle existe encore comme une représentation imaginaire avec des effets sociaux. Dans les sciences sociales, beaucoup de chercheurs utilisent le terme de race. Non pas parce qu’ils croiraient en l’existence des races, mais parce qu’ils reconnaissent pragmatiquement que la race comme catégorie imaginaire influe dans l’organisation des sociétés passées et présentes. » (Le Monde, 2018)
  • Le racisme antiblanc
    « Parler d’un racisme antiblanc est une formule lourde de sous-entendus, qui, au nom d’un langage de vérité, reprend des thématiques qui ont cours depuis longtemps dans l’extrême droite. » (La Condition noire, 2008)
  • Le racisme d’État
    « Le “racisme d’État” suppose que les institutions de l’État soient au service d’une politique raciste, ce qui n’est évidemment pas le cas en France. […] En revanche, il existe bien un racisme structurel en France, par lequel des institutions comme la police peuvent avoir des pratiques racistes. Il y a du racisme dans l’État, il n’y a pas de racisme d’État. » (Le Monde, 2017)
  • Les micro-agressions
    « Si petites que les auteurs ne les perçoivent jamais, mais qui blessent […] C’est comme le supplice de la goutte d’eau. Une fois, cela n’a rien de grave, mais un million de fois, c’est insupportable. » (Le Monde, 2020)
  • Les statistiques ethniques
    « Il convient enfin d’incriminer l’absence d’évaluations statistiques des populations concernées : en bref, on ne connaît pas le nombre de Noirs vivant en France, et encore moins leur ventilation par catégories socioprofessionnelles, par exemple, à moins de procéder par des biais statistiques fondés sur le lieu de naissance. » (De la question sociale à la question raciale ?, 2006)
  • « L’islamo-gauchisme »
    « Cette notion n’a plus aucune signification. Elle sert simplement à disqualifier sans engager le débat et sans regarder de plus près ce qui se passe. Le monde universitaire n’a rien d’islamo-gauchiste, bien entendu. Il y a des débats, il y a des recherches vivantes, parfois critiquables, évidemment, mais qui ne relèvent en rien de ce qualificatif infamant. » (France Inter, 2021)
  • Le déboulonnage des statues
    « Débattre du déboulonnage des statues, c’est passionnant ! Pas pour confronter des positions binaires – déboulonner ou pas –, mais pour comprendre pourquoi la question se pose et imaginer des propositions créatives : à Bristol, Banksy a proposé de transformer la statue d’un marchand d’esclaves, sans la détruire, mais en la subvertissant radicalement… » (Le Monde, 2021)
  • Le blackface
    « Le fait de se maquiller, de se grimer et de porter des costumes, fait partie intégrale du spectacle, que ce soit l’opéra ou le théâtre. En revanche, se déguiser en Noir ou se déguiser en personnes asiatiques, ça, c’est quelque chose de très offensant. Beaucoup d’opéras de par le monde ont déjà prohibé le blackface. Au fond, ça donne des possibilités créatives beaucoup plus intéressantes pour les metteurs en scène d’opéra que de simplement appliquer un pauvre grimage de couleur sur un visage. » (France Inter, le 19 février 2021)
  • L’universalisme
    « Je ne souscris pas [à l’idée d’un génie français] parce qu’il sous-entend qu’il y aurait une exception française qui nous protégerait d’un certain nombre de maux que l’on observe dans le reste du monde. Derrière cette idée, il y a celle du fameux universalisme de la citoyenneté française, qui a souvent pris l’allure d’un universalisme d’homme, blanc et hétérosexuel… D’un “universalisme chauvin”, comme disait Abdelmalek Sayad. Il n’est pas aujourd’hui question d’un enfermement communautaire, ou d’un éclatement de la sphère publique en autant de groupes qui se tourneraient le dos, mais plutôt d’une demande d’un véritable universalisme, d’un universalisme qui englobe tous les sexes, toutes les manières d’être, toutes les couleurs de peau sans faire de différence. » (France Culture, avril 2018)
  • L’« appel contre les ratonnades anti-Blancs » du 25 mars 2005
    « La démarche est significative en ce sens qu’elle témoigne probablement d’une contre-offensive des “néorépublicains”, hostiles à l’expression et à l’organisation des minorités visibles. […] “Vous nous lassez avec vos histoires de racisme, et vous ne prêtez pas attention au racisme antiblanc et antifrançais, quand vous ne l’excusez pas tout bonnement. Les Blancs sont tout autant victimes de racisme que les Noirs. Ces derniers n’ont pas à se plaindre, ils feraient mieux de rester à leur place”, disent-ils en substance. » (La Condition noire, 2008)"

Lire "Ce qu’a vraiment dit et écrit Pap Ndiaye".


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Pap Ndiaye (note du CLR).


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