Note de lecture

C. Strenger : l’universalisme des Lumières en accusation

par Philippe Foussier 21 avril 2016

Carlo Strenger, Le Mépris civilisé, Belfond, 170 p., 14 €.

Après d’autres, ce livre revient sur les attentats de 2015 comme révélateurs de la difficulté de débattre de l’intégrisme religieux sans être taxé de racisme ou d’intolérance. Philosophe et psychanalyste, Carlo Strenger est l’auteur d’un livre qui a connu un grand succès en 2013, La peur de l’insignifiance nous rend fous, dans lequel il pointait les risques contenus dans certaines « nouvelles » spiritualités. Prévenons au préalable le lecteur, Le Mépris civilisé est soit mal écrit soit mal traduit (de l’allemand) mais cela n’enlève rien à la pertinence du fond.

L’auteur est un très bon connaisseur des milieux intellectuels américains. Il constate pour le déplorer que le pronostic de Samuel Huntington sur le choc des cultures s’est largement imposé devant la thèse de Fukuyama proclamant la fin de l’histoire et le triomphe planétaire de la démocratie libérale. Mais il dénonce la responsabilité de l’Occident lui-même dans la légitimation de cet affrontement culturel sur fond religieux. S’adossant à un « processus d’autocastration, l’exigence universaliste des Lumières est reléguée au rang de mensonge culturel fondamental », l’Occident étant peu à peu sommé « d’expier ses péchés non seulement en prenant en charge la misère du tiers monde décolonisé mais en s’interdisant de critiquer tout mode d’existence et toute croyance au prétexte que tel groupe ethnique, religieux ou culturel pensait, croyait et vivait de cette façon ».

En mettant en lumière le rôle de penseurs comme Jean-François Lyotard ou Michel Foucault, Carlo Strenger décrypte le mouvement intellectuel de va-et-vient entre la France et les Etats-Unis d’Amérique à partir des années 1970, avec le grand succès outre-Atlantique de la French theory. C’est en effet cette école de pensée qui a postulé que « l’histoire des Lumières et du progrès n’avait jamais été qu’une manœuvre trompeuse pour répandre et défendre la position hégémonique de l’homme blanc ». Cette idéologie s’est répandue comme une trainée de poudre dans les universités américaines en partant de celles de sociologie et de sciences humaines : « L’héritage occidental était présenté comme une tradition de répression à l’encontre des autres cultures, mais aussi des femmes et des homosexuels. La seule chose sensée que l’on pouvait encore entreprendre, c’était de tout déconstruire dans la joie ». Le relativisme culturel a donc étendu son emprise et dès lors, « toutes les visions du monde se valent et rien ne permet de les critiquer ». Et le « mépris civilisé » est en marche, qui sape les fondements mêmes de l’humanisme.

Philippe Foussier


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