Revue de presse

C. Pina : « Le pacte avec l’islam pourrait se transformer en pacte avec les islamistes » (lefigaro.fr/vox , 2 août 16)

Céline Pina, auteur de "Silence coupable" (Kero). 4 août 2016

"Il y a des moments où les coïncidences trop heureuses révèlent une communication très orchestrée. Voilà que dans le JDD du 31 juillet, le Premier ministre évoque l’hypothèse d’un Pacte avec l’Islam, faisant ainsi de cette religion, une religion que l’Etat devrait traiter de façon particulière, tandis que dans une tribune, des personnalités françaises de confession musulmane indiquent qu’elles sont prêtes à assumer leurs responsabilités et à rendre islam et république compatibles, tout en évitant soigneusement de poser la question des conflits de valeur à résoudre.

En soi, si le contenu des annonces avait été à la hauteur des enjeux ou au moins les avait pris à bras-le-corps, il n’y aurait rien à dire. Mais voilà, une fois de plus, une fois encore, les ambiguïtés de la communication gouvernementale, auxquels s’ajoutent l’oubli dans la tribune des personnalités « musulmanes » des massacres commis contre les juifs et les explications parfois tortueuses de leur propre positionnement, laissent un arrière goût de malaise, voire peuvent entraîner des doutes sur la réalité des buts poursuivis.

Et pour cause, selon les signataires, mener la bataille contre l’Islam radical et politique ne se fait pas en affirmant la primauté dans l’organisation de notre monde commun, de la loi des hommes sur le dogme divin, autrement dit en respectant strictement la laïcité, mais en formant les imams sur notre sol… Toujours selon les signataires, la société les somme de prendre la parole alors qu’on leur a appris à faire de la religion une affaire privée. Ainsi, s’ils s’expriment, ce n’est pas parce que l’Islam a un lien avec l’islamisme et qu’au terme de tant de massacre, une prise de conscience a eu lieu, mais pour répondre à des injonctions paradoxales… Bref le texte de la tribune est curieux et bancal, sans parler de la faute originelle de la négation de la dimension antisémite de certains massacres.

Du côté gouvernemental, on a assisté ces derniers temps au lancement de beaucoup de ballons d’essai afin de proposer de mettre en place un concordat avec l’Islam. Les Français ont été très clairs : ils n’en veulent pas. Alors, le ministre de l’intérieur l’a dit, le premier ministre le répète : il n’y aura pas de concordat ! Et ceux qui prétendent le contraire sont de dangereux irresponsables qui font le jeu du FN ! Pas de concordat, on vous dit, juste un pacte avec l’Islam... Qui concernera le financement des mosquées, la formation des imams, l’organisation du culte…

Qu’en terme galant ces choses-là sont dites et que de contorsions pour évoquer le statut particulier d’une religion passant un contrat dérogatoire avec l’Etat, sous forme de Pacte. On retombe ainsi dans une négociation bien connue sur nos territoires qui se traduit toujours par l’octroi de passe-droits religieux en échange d’une promesse jamais tenue de paix sociale…Il y a bien là une atteinte fondamentale à la laïcité, car on est devant la tentative de chercher petit à petit et sous couvert de pragmatisme et d’apaisement, à imposer un droit, lié à une communauté particulière et qui aurait pour corollaire des obligations d’ordre légal pour l’Etat.

Cela tombe bien, il se trouve que quelques pages plus loin, la tribune des personnalités « musulmanes » est concernée par « l’impuissance de l’organisation actuelle de l’islam de France » et réclame des sources de financement pérennes et transparentes des mosquées, de former et de salarier les imams, de faire un travail historique, anthropologique et théologique…

Pourtant le fait que la tribune commence par l’énumération de tous les carnages perpétrés sur notre sol par les jihadistes, en oubliant les victimes juives de Mohamed Merah à Toulouse et celles de l’hypercasher, est révélateur. Plus révélateur encore, la réaction d’un des signataires du texte, dont on taira charitablement le nom en réponse à l’étonnement que manifestait Jean Birnbaum, sur Facebook face à ce si dérangeant oubli : « Lorsqu’on parle des caricaturistes, on parle de tout le reste : juifs, musulmans, gardiens de la paix... ». On appréciera le « tout le reste ». A cela, une réponse cinglante est apportée par un internaute : « Les policiers, agents de sécurité et autres qui ont été tués lors de l’attaque de la rédaction de Charlie Hebdo étaient peut-être musulmans, catholiques ou juifs (…) mais ils n’ont pas été tué parce qu’ils étaient catholiques musulmans ou juifs, mais parce qu’ils étaient sur le chemin des tueurs. Dans le cas de l’hypercacher comme dans les autres assassinats commis au nom de l’Islam ces dernières années, des gens ont été tués parce qu’ils étaient juifs ». Bref l’oubli était déjà révélateur, mais cette réaction montre qu’il n’était pas fortuit pour tout le monde. Au mieux, impensé. Or si la France a une vieille tradition antisémite dont elle n’a pas à être fière, il existe un antisémitisme culturel chez certains musulmans qui aboutit à ce qu’aujourd’hui, dans certains endroits du territoire, l’école de la république n’accueille plus les enfants juifs faute de pouvoir assurer leur sécurité… Cela aussi il faut le regarder en face et lutter contre, est sans doute plus urgent que la formation et la salarisation des imams.

Mais cette irruption du réel est rejeté par tous, Premier ministre comme signataires de la tribune. Ici, on vit en théorie, parce qu’en terme de communication, c’est bien plus pratique que d’affronter la réalité. Et c’est comme cela que tout ce petit monde se réfère à la Fondation pour L’Islam de France, pour porter et mettre en œuvre le fameux Pacte. Laquelle Fondation n’est qu’une coquille vide et pour cause : le poids de l’UOIF au sein de ces instances, principal parti de diffusion de l’Islam politique, aux mains des frères musulmans, est un facteur d’empêchement de toute relation de confiance…

C’est dire le risque que le soi-disant pacte avec l’Islam, arme de destruction à peine dissimulée de notre laïcité, finisse en pacte avec l’islamisme, puisque ce sont eux qui définissent les revendications politiques, exercent une pression permanente sur nos représentants au niveau local comme national, détiennent les militants les plus nombreux et les mieux formés et qui ont le plus d’influence sur une partie de la communauté dite musulmane... Le discours est ainsi rodé qui cible les salafistes et oublie l’UOIF, parti religieux aux mains des frères musulmans, lesquels n’ont rien à envier aux salafistes dans la diffusion d’une idéologie obscurantiste, qui refuse l’égalité entre les êtres humains, la déniant avant tout à la femme et qui place les dogmes religieux au-dessus de tout.

Ne nous leurrons pas, c’est bien l’UOIF qui est la mieux placée pour tirer les marrons du feu. Structurés politiquement, ayant noyauté nombre d’organisations laïques, puissante financièrement et très introduite auprès de nos politiques, gageons que ses responsables seront les principaux négociateurs de ce Pacte qui risque d’échapper aux politiques pour finir en pacte de la reddition.

La République, toute la République et rien que la République, voilà qu’elle est la réponse que les Français attendent et cela passe par le respect de la laïcité, qui est un point non négociable. L’Islam doit accepter ce que les catholiques ont accepté. Un point c’est tout. Et la République n’a pas à se poser la question de savoir quel degré de difficulté cela représente pour des croyants. Ni si l’Islam est compatible ou incompatible avec la République. Quelle que soit la religion, la règle est la même et c’est au croyant de trancher : s’il refuse la loi commune au nom de la religion, alors il peut choisir de partir ou de vivre en marge mais n’a pas à réclamer que la loi change à son profit. La règle est simple, elle gagnerait à être intégralement appliquée, car elle garantit la liberté de conscience en tant que droit individuel et non en tant que droit lié à l’appartenance communautaire : « La république ne reconnaît ni ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ».

Car ce pacte, proposé par un pouvoir faible et largement désavoué, met en danger ce que nous sommes. Il est un terrible aveu d’incompréhension de ce qu’est la république, la laïcité et l’esprit d’émancipation de notre pays. Pire même, il appelle la violence, sans le vouloir. En effet, il est plus que temps que nos gouvernants arrêtent de paniquer, se reprennent et fassent leur travail : incarner et défendre ce que nous sommes, le souffle de liberté qui nous anime et non pas vendre nos idéaux pour acheter une paix sociale qu’ils n’obtiendront pas. Car une telle faiblesse nous expose et est en elle-même une provocation à la violence.

Alors que les frères musulmans diffusent la même idéologie que Daech et préparent le terrain des jihadistes, ils sont en position, contrairement à Daech, de récolter les fruits de la mort que sèment ces derniers et de finaliser les objectifs visés par les jihadistes : mise à mal de la laïcité, proposition de concordat, coups portés à l’égalité femmes/hommes, refus de la séparation entre domaine public et privé, emprise sur tous les aspects de la vie des hommes...

Ils peuvent ainsi pousser le cynisme jusqu’à profiter du sang versé et de la peur que la violence génère, en ne condamnant que pour la forme un terrorisme, dont ils contribuent à alimenter les vocations en chauffant à blanc la frustration et la logique de victimisation d’une partie de la population. Ils contribuent à alimenter le refus d’intégration à la société de certains jeunes, français ou non, en accusant l’Etat français d’être dans une dérive dictatoriale, de pratiquer un racisme d’Etat et en traitant tous les Français de racistes.

On comprend que face au sang versé, le gouvernement veuille montrer qu’il est là, qu’il agit et qu’il travaille. Mais il n’y arrivera pas en donnant l’impression qu’il cède à la menace. Il y a des réponses à faire à certaines dérives : les notions d’intelligence avec l’ennemi, de résistance à l’exécution des lois, d’atteinte à la dignité humaine peuvent répondre à certaines situations. Et si notre arsenal juridique est insuffisant, voyons ce qui pragmatiquement peut nous permettre de le renforcer. Mais je crains, hélas, que ce soit plus la volonté de nos représentants qui soit défaillante, que notre droit qui soit insuffisant. Quand on est attaqué se défendre est un droit et on peut être efficace sans jeter l’Etat de droit par dessus les moulins.

On comprend que face au sang versé, les Français de confession musulmane veuillent affirmer leur attachement à nos idéaux et à nos principes. Hélas, ce n’est certainement pas en ayant l’air de proposer eux-mêmes un pacte avec l’islam que cela fonctionnera, mais en disant clairement que s’ils acceptent les lois de la République c’est parce que ses idéaux permettent aux croyants et aux athées, agnostiques, apostats de faire leurs choix sans que l’Etat ait à les connaître, que la laïcité est une loi qui a ses contraintes mais qui, surtout, les protège !

Si nous ne voulons pas pousser définitivement nos compatriotes, par peur et sentiment de trahison, vers des impasses identitaires, ceux qui aspirent à gouverner, doivent être sûrs de ce qu’ils sont et de ce qu’ils se sont engagés à incarner et à défendre. Aujourd’hui, les valeurs qui permettent de se penser en tant que société unie et non comme une simple juxtaposition d’identités excluantes sont de plus en plus contestées. C’est là où l’on attend des politiques, comme des partis, l’expression de règles du jeu claires, une parole habitée et qui assume sa portée symbolique. Et l’on entend le plus souvent des prises de paroles peu inspirées, des propositions non suivies d’effets pour un résultat qui abime ce qu’il était censé défendre…"

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