Revue de presse

C. Kintzler : "Inscrire dans la Constitution les principes de la loi de 1905" (slate.fr , 19 mars 17)

Catherine Kintzler, philosophe, Prix de la Laïcité 2014. 22 mars 2017

"Vouloir constitutionnaliser un texte législatif, c’est considérer que ce texte dit quelque chose de fondamental sur la nature de l’association politique.

Supprimer de l’article premier de la Constitution une proposition difficile à comprendre et y insérer à la place trois propositions claires inspirées des deux premiers articles de la loi du 9 décembre 1905 permettrait de préciser le caractère « laïque » et « indivisible » de la République.

L’alinéa 1 de l’article premier de la Constitution de 1958 est ainsi formulé :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

Je propose de remplacer « Elle respecte toutes les croyances »

par :

« Elle assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. Elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

L’insertion s’inspire des deux premiers articles de la loi du 9 décembre 1905. En ce sens il ne s’agit pas d’une proposition nouvelle. François Hollande l’avait partiellement avancée en 2012 tout en la contredisant par un ajout sur le maintien des dispositions particulières en Alsace-Moselle. Le Grand Orient de France en fait état dans ses 25 propositions pour une République laïque au XXIe siècle [1].

Vouloir constitutionnaliser un texte législatif, c’est considérer que ce texte dit quelque chose de fondamental sur la nature de l’association politique. Tel est le cas des formules empruntées à la loi du 9 décembre 1905 : il y est question de « la République » dont le caractère constitutionnel « laïque » est précisé.

Cette précision expose l’abstention de la part de la République au sujet des croyances et des incroyances. Voilà pourquoi il est opportun, avant de l’insérer, de supprimer la proposition « Elle respecte toutes les croyances ». D’abord cette dernière peut conduire à des incompréhensions (que signifierait, par exemple, « respecter » la croyance à la planéité de la Terre ?). Ensuite elle en dit trop, et ce trop-dit, comme souvent, a un effet restrictif : respecter « toutes les croyances », c’est refuser ce même respect aux diverses espèces de non-croyance. Il vaudrait mieux ne rien dire à ce sujet pour toutes ces raisons, mais aussi pour une raison fondamentale qui mérite d’être constitutionnellement exprimée.

La laïcité républicaine est minimaliste parce qu’elle installe une forme d’aveuglement : la puissance publique n’a rien à dire des croyances et des incroyances. Non seulement personne ne peut être tenu de croire ou de ne pas croire, de croire à ceci plutôt qu’à cela, non seulement il n’y a aucune obligation d’appartenance, mais encore le lien politique est étranger à toute autre référence qu’à lui-même. À cet égard, c’est un silence de principe qu’il faut inscrire au fondement de l’organisation politique.

La conjugaison de ce silence principiel avec le respect dû aux personnes s’appelle la liberté de conscience, laquelle porte sur un champ indéfini, bien plus large que celui des seules croyances, et n’assume pas l’éventuelle absurdité ni l’exclusivité d’un « respect » qui serait dû à leurs contenus.

La liberté de conscience comprend la liberté des cultes qui en particularise l’exercice, sous forme éventuellement collective : ce qu’il est convenu d’appeler la « liberté religieuse » n’épuise pas la laïcité, elle en est une conséquence. La rédaction du texte, reprise de la loi de 1905, exprime cet emboîtement par l’ordre des propositions insérées, par la ponctuation forte (un point) qui les sépare, et par les actions qui engagent la puissance publique (assurer/garantir).

Assurer la liberté de conscience, c’est faire en sorte que personne ne soit contraint à une adhésion ou à un reniement – ce qui requiert l’installation d’un espace critique commun, y compris aux dépens de la puissance publique : tel devrait être l’effet de l’instruction obligatoire. Garantir la liberté des cultes, ce n’est pas les reconnaître, une reconnaissance ayant pour effet de briser le silence dont il a été question et de privilégier les cultes reconnus, mais veiller à leur libre exercice au besoin en intervenant contre ce qui peut l’entraver illégalement. Il ne faut donc pas confondre reconnaître (accorder un statut officiel) avec connaître, établir des relations, lesquelles sont en outre nécessaires pour l’ordre public. Garantir la liberté des cultes, ce n’est pas davantage les financer de quelque manière, tout financement public étant une forme de reconnaissance, une rupture de l’égalité et une rupture du silence de la loi sur ce qui ne la regarde pas. La liberté des cultes n’est pas un droit-créance, mais un droit-liberté.

La conséquence la plus spectaculaire de cette proposition est l’abandon des dispositions particulières en vigueur provisoirement en Alsace-Moselle et dans certains territoires ultra-marins. Un tel abandon, qui devrait se faire progressivement en respectant les droits des personnels religieux actuellement rétribués par l’État, réunifierait la République « indivisible ». Mais la vertu principale du texte ainsi modifié apparaît si on suppose cette étape acquise : expliciter la laïcité de la République par un minimalisme fondateur et libérateur."

Lire "Inscrire dans la Constitution les principes de la loi de 1905".



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