Revue de presse

Bianco (Observatoire) : « Sur la laïcité, un débat législatif risque d’être très dangereux » (liberation.fr , 15 juin 14)

23 juin 2014

"Pour Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, une nouvelle loi n’est pas nécessaire, alors que la Cour de cassation doit se prononcer dans l’affaire Baby Loup.

L’an dernier, un arrêt de la Cour de cassation créait la polémique en donnant raison à une salariée licenciée parce qu’elle portait un voile islamique contre son employeur, la crèche Baby Loup de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines). Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, sortait de son rôle (sic) en critiquant ouvertement la décision de justice. Et le président de la République posait la question de la nécessité de légiférer sur la laïcité en entreprise [1]. En avril 2013, il mettait en place un Observatoire de la laïcité. Un an plus tard, et alors que s’ouvre ce lundi devant la Cour de cassation un nouvel épisode dans l’affaire de la crèche Baby Loup, Jean-Louis Bianco, le président de l’Observatoire de la laïcité, répond à nos questions.

Après l’arrêt de la Cour de cassation, François Hollande avait laissé entendre qu’une loi pourrait régler ce genre de problème. Dans l’avis que vous avez rendu, vous dites que ce n’est pas nécessaire. Pourquoi ?

Il y a selon nous deux solutions : la première s’appuie sur le règlement intérieur. Il n’est pas du tout impossible dans une activité comme celle-ci d’apporter par un règlement intérieur des limites à l’expression religieuse. Simplement, il faut le justifier précisément.
Deuxième solution, plus sûre sur le plan juridique, c’est la délégation de service public. La crèche Baby Loup est financée à 80% par fonds publics, il y a donc une logique à être conventionné. Or, lorsqu’on est en délégation de service public, on est, comme dans le service public, soumis aux obligations de neutralité. La question du foulard ne se pose donc plus, tout signe religieux étant alors interdit. La crèche Baby Loup n’a pas voulu de cette solution. Mais elle existe. Nous estimons donc qu’une loi n’est pas nécessaire.

L’affaire Baby Loup était-elle le bon angle pour poser un débat sur la laïcité ?

Je ne suis pas sûr. C’est devenu très emblématique, avec des positions très engagées d’un côté comme de l’autre. Et on en a fait l’emblème d’un combat pour la laïcité alors que la réalité de l’histoire est plus complexe. C’était un terrain hyper-conflictuel, hyper-médiatisé, hyper-symbolisé avec une émotion particulière et légitime liée au travail exceptionnel que fait cette crèche. L’affaire Baby Loup est très particulière. Car, dans la jurisprudence des tribunaux prud’homaux, dans celle des tribunaux administratifs, du Conseil d’Etat, il n’y a pas ces contradictions… Les réponses y sont, au contraire, convergentes et très précises.

Le plus fervent défenseur d’une loi était le ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Il est aujourd’hui Premier ministre, est-ce que cela ne vous met pas dans une position difficile ?

Nous n’en avons pas parlé depuis qu’il est Premier ministre. On verra bien, mais nous avons toujours eu des conversations très libres. Et je note aussi qu’il avait dit que ce serait une erreur grave de considérer la laïcité comme une citadelle assiégée. Le gouvernement et le Parlement prendront les décisions qu’ils voudront. Mais s’ils estiment une loi nécessaire, nous recommanderons que l’on prenne le temps. Notre pays est terriblement tendu, il y a de l’agressivité, du désespoir, de la haine. Nous pensons qu’un débat législatif risque d’être très dangereux.

Dans votre premier rapport annuel, vous dites qu’il n’y a pas beaucoup de problèmes, mais on constate l’émergence de difficultés très localisées et issues de franges radicalisées…

Il n’y a pas autant de soucis que cela autour de la laïcité. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes nouveaux. Il y a des demandes de type nourriture, congés, soins… Certaines faites de bonne foi, d’autres constituant une offensive délibérée contre la République. C’est là qu’il faut dire non. Ce que l’on constate, c’est un développement du communautarisme.

A partir de quand est-il attentatoire à la liberté d’autrui ou à l’ordre public ?

Ce n’est pas parce qu’une femme porte le foulard qu’elle est intégriste, radicale, antilaïque ou antirépublicaine. D’une manière générale, il faut que l’on comprenne mieux le phénomène. Et la réponse n’est pas forcément la laïcité. Il y a des problèmes de ségrégation, de discrimination, de racisme, d’intégration… Le texte qui fonde le principe de laïcité en France date de 1905, une époque où le catholicisme était ultramajoritaire.

Ce texte est-il adapté à la société actuelle ?

La loi a évolué dans le temps, même si l’on reste dans les principes de 1905. La réponse de l’Observatoire est que les principes qu’exprime la loi - liberté de croire ou de ne pas croire, neutralité absolue du service public, séparation des Eglises et de l’Etat - nous paraissent être les bons principes. Plus que jamais dans une société compliquée, diversifiée, fragmentée. Simplement, il faut faire vivre ces principes, et faire un gigantesque effort d’information, de formation et de promotion de la laïcité."

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