Revue de presse

"Aurélien Taché l’Américain" (Marianne, 8 mars 19)

Par Hadrien Mathoux. 12 mars 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Chargé du débat d’idées à La République en marche, le député du Val-d’Oise promeut sans complexe des idées libérales qu’il mêle au multiculturalisme "inclusif" venu des Etats-Unis. Au point de semer le trouble sur la ligne politique du parti présidentiel et d’agacer ses collègues.

Jusqu’où peut aller le relativisme ? Depuis ce samedi 2 mars, Aurélien Taché sait qu’à La République en marche les comparaisons théologiques capillotractées peuvent constituer une limite. Invité de l’émission « C à vous » sur France 5, le député macroniste, comme il en a coutume, tempête pour défendre le voile islamique après l’affaire Decathlon. Jusqu’à ce qu’une autre invitée, la journaliste et militante laïque Zineb El Rhazoui, lui demande son avis sur les petites filles de 12 ans affublées du hijab. L’élu du Val-d’Oise se défausse : « Moi, je fais la loi, pas la morale. Les jugements moraux sur une famille qui élève religieusement ou non ses enfants, je n’ai pas à les porter. » Puis dévisse, avec une analogie lunaire : « Est-ce que vous me poseriez la question sur une famille catholique dans laquelle on mettrait un serre-tête ou autre à une jeune fille ? Bien sûr que non. » Indignation générale, recadrages publics de collègues députés de la majorité, mise au point de Marlène Schiappa : le tout frais « responsable du débat d’idées » à LREM a finalement dû concéder des excuses pour une « comparaison malvenue et trop hâtive ».

Pas sûr que l’épisode suffise à décourager le jeune (34 ans) parlementaire. Au sein d’une majorité réputée pour héberger de nombreux bons petits soldats peu portés sur la glose idéologique, Aurélien Taché dénote. Il n’aime rien tant que mettre en avant ses convictions et plonger la tête la première dans la « bataille culturelle ». Comme lorsqu’il fait capoter le projet d’interdiction du port de signes religieux ostensibles aux accompagnateurs de sorties scolaires, contre le souhait du ministre Jean-Michel Blanquer. Ou lorsqu’il convainc des dizaines de collègues de voter un crédit d’impôt pour les personnes hébergeant des migrants. Commentaire d’Anne-Christine Lang, députée LREM : « Je suis en total désaccord avec lui sur beaucoup de sujets, mais c’est quelqu’un de respectueux avec qui l’on peut discuter. Il est très politique et aime débattre. »

Le monde rêvé

Un cadre macroniste se montre moins enthousiaste : « Taché va parfois un peu trop loin, il cherche à appliquer des grands principes dans un monde rêvé. »

A quoi ressemble le « monde rêvé » d’Aurélien Taché ? Pour le décrire, le député est plutôt bavard. Auprès de l’Obs, il imagine un « modèle démocratique, ouvert, inclusif, libéral qui accepte toutes les cultures ». Une société où le port du hijab et la visibilité religieuse ne feraient donc l’objet d’aucune remise en cause, et qui en finirait avec le « républicanisme guerrier » et « le modèle assimilationniste qu’on a essayé d’appliquer en France » ; où l’indivisibilité du territoire national serait oubliée pour « assumer une logique de discrimination positive territoriale » ; où les entreprises pourraient plus facilement recruter « des gens qui n’ont pas la nationalité française » ; où des places aux municipales seraient réservées aux minorités visibles -« Aujourd’hui, il n’y a pas un noir ou un Arabe parmi les maires des 50 plus grosses villes » ; où l’on en aurait fini avec « ce mythe de la France périphérique », alors que c’est « dans les quartiers et les grandes villes que se concentre la pauvreté » ; où la « GPA éthique » serait légalisée (lire p. 23) ; où la souveraineté de la France, qui aurait au préalable cédé son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, serait « transférée au niveau européen ».

Marqué par son passage à l’Unef et au Parti socialiste, le député du Val-d’Oise assume son côté libéral (sur l’économie) - libertaire (sur tout le reste), vouant aux gémonies le républicanisme français et son agaçante manie de vouloir fondre les communautés dans un seul peuple. Aurélien Taché, c’est un peu le macronisme dans sa version la plus caricaturale : soit la dissolution enthousiaste de la France dans un village global « inclusif ». De quoi évoquer, aux yeux de nombreux observateurs, le multiculturalisme venu des Etats-Unis. Le député assume la filiation : il a posté sur Twitter la une du magazine Rolling Stone sur laquelle quatre dirigeantes du Parti démocrate US posent, « dont une voilée, précise-t-il, sans que cela ne choque personne ».

"Ultra-perso"

Mais retour en France, où l’activisme du député, dans les rangs du Palais-Bourbon et sur les plateaux télé, commence à agacer ses collègues. « Taché est incontrôlable, glisse une élue LREM. Quand il veut pousser une mesure, même quand il y a une possibilité de discuter en amont, il préférera quand même déposer son amendement pour faire parler de lui. Il est ultra-perso et n’emmène personne autour de lui. » Vaillant soldat macroniste engagé dans la bataille des idées ou squatteur de micros la jouant solo pour satisfaire son ego ? Au sein de la majorité, les dernières sorties du député nourrissent l’interrogation. Anne-Christine Lang avertit : « La question qu’on doit tous se poser est : à quel moment privilégier sa prise de parole individuelle au collectif ? »

Au cœur des reproches des macronistes : la fâcheuse tendance de Taché à estimer que son « libéralisme culturel » représente l’ADN de La République en marche. Ce qui heurte notamment la sensibilité de l’aile du mouvement attachée à la laïcité, ceux qu’il appelle les « néorépublicains ». Parmi eux, le député du Cher François Cormier-Bouligeon est en guerre ouverte avec son collègue : « On ne peut pas être pour le port du voile de façon inconditionnelle, pour la dissolution de la souveraineté nationale, contre le drapeau tricolore et se réclamer de LREM », tonne-t-il, lui qui inscrit le mouvement présidentiel dans le sillage des Lumières et de l’universalisme républicain. La grande crainte de ce parlementaire : que les idées d’Aurélien Taché, exprimées de façon trop abrupte, servent d’arguments aux adversaires de LREM. « Certains devraient faire attention à ne pas être les idiots utiles de Marine Le Pen et des intégristes religieux », prévient Cormier-Bouligeon. Le délégué général de LREM, Stanislas Guérini, a d’ailleurs recadré le jeune député en lui enjoignant de ne pas « engager le parti au nom de [ses] opinions personnelles ».

Transgressif

D’autant que, sur la laïcité, Taché ne fait pas dans la modération. L’ancien de l’Unef se réclame sans ambiguïté d’une laïcité « ouverte », qui vise à édulcorer ce principe républicain en y incorporant une bonne dose de multiculturalisme. Cette vision se traduit par des déclarations qui insistent systématiquement sur le fait de ne pas « discriminer le droit de croire » et la « stricte neutralité de l’Etat » ; jamais sur la non-immixtion des religions dans les décisions politiques ou la lutte contre le communautarisme. Le danger, pour Taché, ce serait presque moins l’islamisme que la montée d’une « espèce de religion républicaine », qui invisibiliserait les religions dans l’espace public. Dans ses prises de position, le député va fréquemment jusqu’à la transgression : en défendant la présidente de l’Unef arborant un hijab, il n’hésite pas à affirmer que « ce voile, c’est son identité », suggérant ainsi que sans lui elle ne serait plus rien… Quant aux projets de réforme de la loi de 1905, il affirme clairement que l’objectif est de « normaliser les rapports entre les cultes et l’Etat en France », et de mettre en place un « partenariat exigeant » avec les musulmans afin d’en finir avec « une forme d’ignorance entre l’Etat et les religions ».

Ce rêve d’une République à l’américaine où politique et religion cohabitent sans aucune retenue, où le clientélisme communautaire fonctionne à plein, Aurélien Taché cherche déjà à le matérialiser : le 15 septembre 2018, il posait, le sourire aux lèvres, la première pierre de la mosquée de Jouy-le-Moutier, dans sa circonscription du Val-d’Oise."

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