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Annie Sugier : "Femmes, espace public et laïcité" (Colloque "Place aux femmes !" 18 juin 16)

Présidente de la Ligue du Droit International des Femmes et membre de la Coordination pour le Lobby européen des Femmes. 21 juin 2016

La place des femmes dans l’espace public est une question essentielle dans le combat féministe. En dépit des acquis en matière de droits, cette conquête-là est encore fragile et soumise à de multiples conditions, comme si les femmes n’étaient toujours pas légitimes en dehors de chez elles.

L’un des avatars de ce combat en France, est l’irruption du voile islamique, qui affiche comme condition à la présence des femmes dans l’espace public, leur invisibilité. Il fait partie des symboles qu’il faut savoir décrypter car dans les sociétés humaines les symboles servent à perpétuer les statuts de supériorité ou d’infériorité.

La Laïcité, un outil d’émancipation

Les limites imposées à la libre circulation des femmes sont la concrétisation la plus flagrante du double modèle féminin/masculin : aux femmes l’intérieur et les tâches familiales (assignation qui peut aller encore aujourd’hui dans certaines sociétés jusqu’à la claustration), aux hommes l’extérieur, l’aventure et le pouvoir. Ces stéréotypes de genre sont construits sur le modèle de la complémentarité des fonctions sexuelles, le corps des femmes étant assimilé en totalité à sa sexualité. L’assignation des femmes à l’intérieur a été historiquement et avant tout une façon pour le système patriarcal de contrôler le pouvoir de reproduction des femmes.

Les religions monothéistes, en continuant à promouvoir la notion de complémentarité entre les femmes et les hommes, de préférence à la notion d’égalité ; en refusant aux femmes la libre disposition de leur corps au nom de leur vocation maternelle ; en leur fixant comme qualités principales la vertu, la pudeur, et la soumission, sont les principaux freins à la libération des femmes à travers le monde.

A ce titre, la laïcité, parce qu’elle est une loi de séparation entre l’Etat et les Eglises est pour les femmes un outil essentiel d’émancipation, même si à l’origine, tout comme la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, elle n’a pas été faite pour cela. Les féministes ont dû et su s’en emparer. La résurgence des extrémismes religieux et notamment de l’islam politique constitue aujourd’hui un danger majeur pour le droit des femmes. L’Eglise Catholique et certaines sectes protestantes très actives dans les pays en voie de développement n’ont pas non plus baissé la garde et sont très actives aux Nations-Unies pour s’opposer à toute dépénalisation de l’avortement avec le soutien des états théocratiques musulmans.

1979 a marqué un tournant important avec deux évènements contradictoires : d’une part l’arrivée au pouvoir à Téhéran de l’iman Khomeiny qui au nom de diktats religieux présentés comme révolutionnaires impose une remise en cause brutale du droit des femmes et d’autre part le vote par l’Assemblée Générale des Nations-Unies de la Convention pour l’élimination des discriminations à l’encontre des femmes ( CEDEF) qui est le texte principal de promotion de l’universalité du droit des femmes, mais qui sera l’objet de la part des Etats signataires de réserves au nom des religions et des traditions. C’est au vu de ces contradictions que Simone de Beauvoir créera au début de la décennie 80 La Ligue du Droit International des Femmes, afin de s’opposer au développement du relativisme culturel.

Des chiffres accablants

Le fait de ne pas pouvoir se déplacer dans l’espace public en toute liberté constitue sans doute l’une des plus grandes frustrations vécues par les petites filles. Je l’ai subi moi aussi. Notre éducation nous a conditionnées à considérer l’extérieur comme le lieu de tous les dangers. Les « faits divers » relatés par les journaux nous rappellent d’ailleurs régulièrement la réalité de ces dangers.

Cette question est devenue un thème d’actualité politique. Témoin, La première page du journal Libération (7 et 8 mai 2016) : « Espace public : place aux femmes ». Avec comme sous-titre « Insécurité, obstacles, machisme… l’inégalité existe aussi dans la rue et les femmes revendiquent aujourd’hui un « droit à la ville » bâtie par et pour les hommes. Reportages dans les quartiers ». L’éditorial signé Alexandra Schwartzbrod est éclairant :« Si l’on avait su, en 1970, que l’on serait encore, en 2016, à s’interroger sur la place des femmes dans l’espace public, on aurait sans doute été atterré.e.s.. A juste titre ».

Les chiffres sont en effet accablants. Selon une enquête de l’Insee, en 2015 un quart des Françaises se sentent en insécurité dans leur quartier. En Ile de France, c’est bien pire, car ce chiffre monte à 70%. En Seine Saint-Denis il est de 78%.

Les transports en commun sont aussi un lieu d’insécurité et de harcèlement pour les femmes. Le journal Libération (6 mars 2016), y consacrait sa « Une » : « Agressions sexuelles. Le droit au voyage sans peur ». Et un sous-titre : « Difficile pour les femmes de prendre les transports sans être sur leurs gardes, tant les violences sont fréquentes. Libération a observé le ballet des frotteurs, avec les policiers qui luttent contre un fléau invisible ».

Comme le note le Haut Conseil à l’Egalité femmes hommes (HCE/fh) dans un avis daté d’avril 2015, « toutes les utilisatrices des transports ont déjà été victimes ». Dans son enquête publiée en juin 2016, la Fédération des associations d’usagers des transports précise que 54% des femmes n’utiliseraient pas les transports en commun à certaines heures, 48% adaptent leur tenue vestimentaire pour se déplacer, 34 % se détournent carrément de ces transports (Le Parisien du 15 juin 2016).

On comprend dans ces conditions que la région IIe de France soit pionnière en la matière puisqu’elle fait réaliser des enquêtes dites de « victimation » chaque année depuis 2001. Ces études ont été pérennisées au niveau national depuis 2007. Un Observatoire Régional des Violences faites aux Femmes a été créé en 2012 et intégré en 2013 au Centre Hubertine Auclert. Des outils nouveaux tels que les « Marches Exploratoires » développés en Amérique Latine dans les années 80 et mises en œuvre notamment au Canada, ont été adoptées en France à titre de test dans le cadre des actions de la politique de la ville. Ces efforts sont-ils à la hauteur des enjeux et sont-ils de nature à changer les mentalités ?

Un double défi pour les féministes

Les féministes se doivent à la fois de dénoncer la responsabilité collective de la société dans les violences dont sont victimes les femmes dans l’espace public, et de reconnaitre qu’il y a un surcroît de violences dans les quartiers dit « sensibles » en raison d’une vision patriarcale aggravée des rôles masculins et féminins véhiculée par la religion musulmane. Cette vision est encore accentuée par les dérives islamistes. Il serait en effet contraire à la cause que nous défendons, et même à un esprit scientifique, de passer sous silence ce que les statistiques démontrent amplement.

Ainsi, on peut s’étonner que les auteur.e.s du rapport « Combattre maintenant les inégalités sexuées, sociales et territoires dans les quartiers de la politique de la ville et les territoires ruraux fragilisés » (rapport publié par le HCE/fh le 19 juin 2014), au chapitre 2 sur les espaces publics, affirment la nécessité de « contrecarrer une possible approche culturaliste qui viendrait associer de manière simpliste et abusive des rapports inégaux et fortement stéréotypés entre les femmes et les hommes à certaines catégories de populations – notamment d’origines immigrées – pour mieux dédouaner le reste de la société ».

Reconnaitre une aggravation du phénomène dans les quartiers sensibles ne revient pas à dédouaner le reste de la société.

C’est ce même réflexe de non stigmatisation qui a conduit les pouvoir publics à minimiser lors des évènements de la Saint-Sylvestre à Cologne, les agressions sexuelles collectives dont ont été l’objet des centaines de femmes dans l’espace public de la part de jeunes hommes que les victimes ont décrits comme étant majoritairement d’origine maghrébine.

C’est ce même réflexe qui a conduit des universitaires français à se liguer contre l’écrivain algérien Kamel Daoud qui dans une tribune publiée dans Le Monde le 5 février 2016, analysait les évènements de Cologne à la lumière du « rapport malade à la femme, au corps et au désir » du monde arabo-musulman [1].

Le port du voile et de l’uniforme islamique dans le sport, un exemple de la trahison des clercs.

Dès 2004, Brigitte Deydier, alors Directrice technique de judo, dans son rapport sur le sport féminin établi à la demande du ministre des Sports et de la ministre de la Parité, avait tiré la sonnette d’alarme : « Le développement de nouveaux freins d’ordre communautaire dans les quartiers urbains sensibles doit faire s’interroger les responsables associatifs comme politiques. Le monde du sport ne peut sans réagir assister à la lente exclusion des filles dans certains quartiers. » Cette évolution s’accompagne d’exigences nouvelles : non mixité et port du voile islamique. En 2012, à la veille des JO de Londres, la délégation aux droits des femmes du Sénat, présidée alors par Mme Michèle André, dans son rapport 2011/2012 confirmait ce diagnostic.

Dans l’édition 2015 des « Chiffres clés » publiée par le Ministère des Droits des femmes il est noté que dans les familles à revenu inférieur à 1830 euros par mois 54% des filles et 75% des garçons de la tranche d’âge 12-17 ans pratiquent une activité physique au sein d’une fédération. Les quartiers urbains sensibles, les espaces publics sont pensés majoritairement, puis investis par les garçons : « c’est pourquoi les jeunes filles ne sont que 32% à pratiquer un sport en ZEP alors qu’elles représentent 51% hors ZEP ». Tel est le résultat des politiques de la ville qui ont oublié les filles préférant cibler les garçons afin de canaliser leur violence à travers le sport et les loisirs.

C’est regrettable, car le sport est un domaine d’activité intéressant pour les filles à double titre d’abord parce qu’il touche au corps dans l’espace public et d’autre part parce qu’il est gouverné par des règles uniformes fondées sur des principes techniques et éthiques universels (non-discrimination, neutralité politique et religieuse), indépendamment du sexe.

C’est en nous appuyant sur ces principes que nous avons fait pression à partir de 1992 sur le Comité International Olympique pour qu’il n’y ait plus de délégations sans femmes. Après 20 ans de combat, nous obtenions en enfin gain de cause 2012 aux JO de Londres, puisque même l’Arabie Saoudite acceptait d’envoyer deux femmes. Mais elle posait trois conditions : qu’elles soient couvertes de la tête aux pieds, qu’elles concourent dans des disciplines non mixtes et qu’elles soient en permanence sous le regard de leurs gardiens mâles. Amère victoire !

L’Iran avait été le premier en 1996 aux JO d’Atlanta à exiger que la seule femme de leur délégation, qui était aussi porte drapeau, soit couverte de la tête aux pieds par une sorte d’uniforme islamique. Le Comité international Olympique cédera, puis ce fut au tour des fédérations internationales. Dans ces conditions, le sport est-il encore émancipateur ? A noter qu’aucune contrepartie n’a été obtenue ainsi, en Arabie Saoudite les filles n’ont toujours pas le droit de faire du sport dans les collèges publics et les femmes, tout comme en Iran, n’ont pas le droit d’entrer dans les stades.

Pourtant la Charte Olympique interdit dans sa règle 50-2 toute expression politique ou religieuse [2]. Cette règle est appliquée de façon drastique quand il s’agit des hommes : rappelons-nous de l’exclusion des athlètes Noirs américains aux JO de Mexico en 1968 pour avoir levé le poing ganté de noir afin de soutenir la cause des Black Panthers ; les athlètes français interdits de porter un simple badge avec "Pour un monde meilleur" aux JO de Pékin lorsqu’ils voulaient protester contre la politique chinoise au Tibet ; le choix de la période du Ramadan pour les JO de Londres maintenu malgré les protestations des pays musulmans, le CIO affirmant que « les Jeux sont apolitiques et areligieux » ; rappelons aussi l’interdiction faite aux aumôniers des 8 religions représentées aux JO de Londres de porter un badge indiquant leur religion et devant se contenter de l’inscription « faith ».

Cette apparente contradiction révèle le mépris dans lequel on tient les femmes. Cette attitude compassionnelle (« sans cela elles ne pourraient pas faire de sport ! ») révèle en fait le mépris dans lequel on tient les femmes prioritairement soumises à la loi religieuse de leur pays (« après tout, c’est leurs femmes !). Le non-respect de la règle par des hommes est quelque chose de grave, car l’homme est une valeur dans la société ; alors que les femmes restent marginales.

Cette trahison n’a été possible qu’avec la complicité active des réseaux femmes et sport dominés par des universitaires anglo-saxonnes acquises au relativisme culturel et du fait du silence des Français.es.



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