Les bibliothèques (19 mars 16)

Aline Girard : "La diffusion universelle des savoirs ; le patrimoine numérique au service des citoyens" (Colloque du CLR, 19 mars 16)

Aline Girard, Conservatrice générale, directrice du Département de la Coopération de la BnF. 3 avril 2016

  • 1. Les bibliothèques, le numérique et la diffusion des savoirs
  • 2. Un patrimoine numérique au service des citoyens : Gallica
  • 3. Un autre patrimoine numérique au service des citoyens : les archives du web
  • 4. L’engagement de la BnF en faveur de la laïcité

1. Les bibliothèques, le numérique et la diffusion des savoirs

Les bibliothèques jouent depuis des siècles un rôle essentiel dans la diffusion des savoirs.

Mais, pendant longtemps, elles ont diffusé un savoir réservé à une élite, sociale ou religieuse. La confiscation des biens du clergé, des aristocrates et des institutions d’Ancien Régime dissoutes par la Révolution française a permis un transfert des fonds dans des collections publiques. Les décrets de 1792 et de 1794 sous l’influence de l’abbé Grégoire à l’origine de la notion de « patrimoine national », placent « les bibliothèques et tous les autres monuments des sciences et des arts appartenant à la Nation, sous la responsabilité de tous les bons citoyens.
L’ouverture à Paris et en province de grandes bibliothèques d’étude encyclopédiques a mis le savoir du monde à portée de main de ceux qui étaient suffisamment équipés intellectuellement et favorisés socialement pour prendre possession de la connaissance enfermée dans les livres.

A côté des cabinets de lecture privés qui se sont parallèlement développés, le 19ème siècle, sur la voie du progrès social, a également créé des bibliothèques « populaires », au rôle éducatif fortement affirmé. La fréquentation de ces bibliothèques – ouvertes en soirée après l’école ou le travail, le jeudi et le dimanche matin pour détourner les citoyens du chemin de la messe - favorisait alors la construction de l’individu, tout comme le permettait l’école libre, gratuite et obligatoire.

La bibliothèque publique a longtemps été considérée comme une annexe de l’école. Elle a dû prendre ses distances par rapport à celle-ci pour exister en tant que telle et affirmer ses principes : un accès libre et gratuit pour tous les citoyens à un savoir encyclopédique, à travers une collection soigneusement constituée par les bibliothécaires, classée et renouvelée. Incontestablement la bibliothèque a été au 19ème siècle un des piliers de la République et de la laïcité.

Oublions quelques épisodes de dérives où le pouvoir – politique, religieux – a censuré, a voulu orienter la constitution des collections pour répondre à des objectifs partisans, réactionnaires, sectaires. La mission de la bibliothèque est d’enrichir la connaissance, de développer l’esprit critique, d’accompagner l’évolution de l’individu, d’ « équiper sa pensée ». Par ailleurs, il a toujours été évident qu’hier devait éclairer aujourd’hui, les ouvrages du passé constituant la toile de fonds du savoir récent.

Le numérique joue depuis quelques décennies un rôle essentiel dans la diffusion des savoirs.

Le savoir du monde n’est plus dans les bibliothèques, il est sur le web. Du moins le croit-on. On entend souvent dire en effet que les bibliothèques ont perdu toute utilité puisque le web donne accès à toute l’information. Tout, tout de suite, partout. Etendue, immédiateté, disponibilité permanente. Il n’y a plus de limite ni d’entrave, pas plus spatiale que temporelle. Mais il n’y a plus de sélection non plus, plus d’accompagnement des individus face à l’océan d’informations qui s’offre à eux, non triées, non classées, non hiérarchisées, non vérifiées. Ils sont seuls et démunis.

Les dangers sont grands, mais les opportunités le sont aussi. Comment ne pas considérer que cette disponibilité de l’information est une extraordinaire aubaine pour qui veut s’ouvrir sur le monde : contenus infinis, liens multiples entre les ressources numériques, dialogue entre les individus connectés.

Quelle place les bibliothèques peuvent-elles encore jouer dans cet univers de l’information 2.0 et du savoir virtuel ? « Peut-on refonder un humanisme critique dans l’infosphère numérique ? », selon les termes de Bruno Bachimont.

2. Un patrimoine numérique au service des citoyens : Gallica

Il est un domaine où les bibliothèques ont un rôle majeur à jouer. A côté du flux d’information, il leur revient de créer un patrimoine numérique et de le mettre à la disposition des citoyens pour permettre le retour aux sources et pour les éclairer à une époque où le présent n’a plus de passé, où l’obscurantisme veut éteindre certaines lumières, où l’on veut faire croire que tout se vaut.

La Bibliothèque nationale de France, depuis plus de 20 ans, crée le patrimoine numérique national, seule dans un premier temps, aujourd’hui avec de très nombreuses bibliothèques partenaires. Elle le diffuse dans Gallica.

Des principes universalistes ont guidé sa création Gallica, bibliothèque numérique patrimoniale au service des citoyens.

Le projet de la nouvelle Bibliothèque nationale de France, qui a vu le jour en 1994, a été novateur, puisqu’il créait une bibliothèque hybride, physique et numérique. Vous vous souviendrez peut-être de cette formule de Jacques Attali conseiller de François Mitterrand, alors président de la République : il s’agissait de concevoir une « une très grande bibliothèque d’un genre entièrement nouveau ».

Gallica est la principale concrétisation de cette politique innovante. Conçue dans la perspective de créer une « bibliothèque de l’honnête homme », encyclopédique et raisonnée, Gallica a ouvert en 1997 avec 20 000 titres, avec un objectif de 100 000 titres : éditions consacrées par la postérité dans toutes les disciplines, textes présentant les contextes culturel et scientifique des grandes œuvres, documents connexes pour l’étude et la recherche, comme les périodiques et les ouvrages de référence.

En 2004, coup de tonnerre : « Google défie l’Europe ». C’est le titre du livre de Jean-Noël Jeanneney, alors Président de la BnF, qui met en garde contre les risques d’un quasi-monopole consenti à une entreprise commerciale tentée par les vertiges de la toute-puissance et qui réagit à l’intention affichée par Google de numériser 15 millions de livres en 6 ans. Ce fut un « choc stimulant ».

La première réaction, devant cette perspective gigantesque, pouvait être de pure et simple jubilation. Pouvait en effet se réaliser le rêve messianique défini à la fin du siècle dernier : tous les savoirs du monde accessibles gratuitement sur la planète entière. Donc une égalité des chances pour tous, notamment au profit des pays pauvres et des populations défavorisées.

Mais s’est vite posée la question de l’indépendance et de la souveraineté culturelles.

Soutenue par le Président de la République Jacques Chirac, la BnF se lance alors dans la numérisation de masse de ses collections patrimoniales et porte le projet Europeana dans l’esprit peut-être de Victor Hugo qui espérait la naissance « un jour de la Bibliothèque des Etats-Unis d’Europe."

En 2007, Gallica offre 350 000 titres. Aujourd’hui elle a atteint 3,5 millions de documents.

Gallica donne accès à des documents extrêmement variés : livres, revues, presse, manuscrits, cartes, partitions, monnaies, objets, enregistrements sonores. La bibliothèque numérique est le reflet de la diversité des collections nationales. C’est aussi une bibliothèque collective, qui donne accès à près de 450 000 documents de bibliothèques partenaires, au nombre de 300 (bibliothèques territoriales, universitaires, spécialisées, publiques ou privées).

En quoi ce patrimoine numérique est-il au service des citoyens, dans toute leur variété ?

Gallica est au service du « grand public » (notion difficilement qualifiable, mais qui regroupe les curieux, amateurs, érudits), mais aussi au service des chercheurs et universitaires ; des enseignants, étudiants, élèves ; des animateurs et médiateurs culturels.

Elle est d’un accès libre et gratuit. Les textes imprimés sont consultables en mode image et en mode texte, ce qui permet une recherche au cœur des œuvres. Ses documents sont réutilisables pour tout usage non commercial, qu’il s’agisse d’un usage privé, pédagogique ou professionnel, comme celui que peuvent en faire les bibliothèques.

La BnF favorise pleinement la réutilisation, la dissémination, la réappropriation de ses ressources numériques et met à la disposition des Gallicanautes des outils de partage.

Elle met ses collections à la disposition des autres bibliothèques numériques françaises et d’Europeana, sur le principe de la coopération numérique et de l’interopérabilité des données.

Ce patrimoine est constitué pour les générations futures. Les données sont donc archivées de manière pérenne dans l’entrepôt numérique de la BnF SPAR.

Gallica est au service de tous ceux qui veulent éclairer le passé par le présent, donner de la profondeur historique et un arrière-plan culturel à l’information brute, décontextualisée et souvent tronquée.

Je présente une sélection de documents variés qui donne à voir la diversité et l’intérêt des ressources proposées. Voir présentation Powerpoint

  • La République et la Laïcité
  • Les grandes causes
  • La France et la société française
  • Guerre et résistances
  • Des revues récentes

Ce patrimoine numérisé, riche, varié, profond, est au service des citoyens, mais il sera réellement le leur si les bibliothécaires et les enseignants s’investissent avec résolution dans l’accompagnement des publics, dans la médiation sous toutes ses formes.

Robert Darnton, grand dix-huitièmiste et directeur de la bibliothèque de Harvard, sensibilisé à l’offensive Google, dit :

« L’avenir, quel qu’il puisse être, sera numérique. La bibliothèque pourrait passer pour la plus archaïque de toutes les institutions. Cependant son passé augure bien de son avenir car les bibliothèques ne furent jamais des entrepôts de livres, mais elles ont été et seront toujours des centres de savoir. Leur position au cœur du monde du savoir en fait des lieux idéalement adaptés pour servir d’intermédiation entre les modes de communication imprimés et numériques, des lieux de médiation ».

3. Un autre patrimoine numérique au service des citoyens : les archives du web

Il est un autre patrimoine numérique constitué par la BnF, lui aussi au service des citoyens : il s’agit des archives de l’Internet. Depuis les années 2000, grâce au dépôt légal de l’internet – dernier dépôt légal institué en France en 2006 - la BnF collecte et archive l’internet français : les sites en .fr ou les sites en .com ou .org dont les auteurs sont domiciliés en France ou les contenus sont produits en France.

Les collectes sont réalisées à l’aide de robots qui copient pages, images, animations, fichiers audio et vidéo. Les sites sont ensuite datés et indexés pour être restitués dans leur contexte de publication original, ce qui permet de naviguer dans les archives comme sur l’internet, en cliquant de lien en lien.

Tous les sites et toutes les pages des sites ne peuvent être archivés. La BnF constitue des échantillons représentatifs de l’internet français en combinant deux modes d’archivage :

les collectes larges permettent de constituer des échantillons représentatifs du Web (4,4 millions de sites en 2015). Elles sont réalisées une fois par an ;
les collectes ciblées portent sur une sélection d’environ 20 000 sites repérés par des bibliothécaires de la BnF ou des partenaires externes. Ces sites sont choisis en raison de leur thème ou de leur rapport à un événement.
Les collectes ciblées sont soit plus profondes (pour archiver les grandes bases documentaires), soit plus fréquentes (par exemple, une centaine de journaux en ligne font ainsi l’objet d’une collecte quotidienne afin de saisir l’actualité du web).

Fin 2015, les archives de l’internet de la BnF contiennent 26 milliards de fichiers ; certaines ressources remontent à 1996).

Ces collections patrimoniales sont consultables à la BnF et bientôt dans les bibliothèques publiques de toutes les capitales des anciennes régions. La constitution des archives du web permet de fixer l’image sur la photographie et constituent un remède à la fugacité de l’information.

Au sein de ces collections patrimoniales, des corpus présentent un grand intérêt qui révèlent les tendances de fond de notre société à qui veut l’observer du haut du web. Ce sont des sources inestimables pour la future recherche française.

Sont ainsi conservés sur la durée grâce à la collecte large annuelle tous les sites officiels (ministères, administrations territoriales, universités, etc.).

Grâce aux collectes ciblés, je citerai les sites liés aux 14 campagnes électorales observées depuis 2002 (présidentielles, législatives, européennes, régionales, municipales). Vous le savez, la « web campagne » domine depuis plusieurs années la période qui précède les élections.

Je citerai aussi les sites de 25 titres de presse quotidienne régionale dont 2 titres « pure player » (Médiapart/ La Tribune), les ensembles constitués sur La révolution tunisienne sur le web ou encore sur Le web militant. Pour les organisations militantes et les acteurs de la contestation sociale, l’internet est en effet un canal de diffusion d’informations, de mots d’ordre, mais aussi un lieu à part entière de débat, de participation et d’action. Si certains mouvements sont nés pour et par le web, d’autres l’utilisent comme un outil d’une panoplie militante plus large.

4. L’engagement de la BnF en faveur de la laïcité

Dès le 7 janvier 2015, la BnF a été Charlie. Depuis lors, elle s’est engagée en faveur de la laïcité, en concevant et en mettant à la disposition de tous différents supports d’information

Une exposition virtuelle http://classes.bnf.fr/laicite/expo/index.htm, organisée en 10 chapitres

  • La laïcité ennemie des religions ?
  • Des limites à la liberté d’expression ?
  • Peut-on rire de tout ?
  • Pourquoi interdire les signes ostensibles d’appartenance religieuse dans l’école publique ?
  • Jusqu’où respecter les différences ?
  • Peut-on tout tolérer ?
  • Une culture commune ?
  • Tuer au nom de Dieu ?
  • La laïcité principe universel ?
  • Quelques textes de référence

Une exposition itinérante sur affiches : "La Laïcité en questions". Cette exposition sur affiches est à commander auprès du référent "laïcité" de chaque académie.
La BnF met à la disposition de ses publics et de ses partenaires éducatifs et culturels une exposition pédagogique sur le thème de la laïcité.

"La Laïcité en questions", un ensemble de dix affiches, propose, dans une mise en page graphique, un éclairage sur des notions mises en perspective et accompagnées d’une riche iconographie. Les documents issus des collections de la BnF (estampes, dessins de presse...), anciens et contemporains, ont été sélectionnés pour contribuer à faire naître la réflexion des publics, des jeunes et de leurs formateurs.

Les sujets traités permettent de répondre, dans un langage simple et direct, aux interrogations ou aux inquiétudes. Ce parcours s’est appuyé sur l’expertise d’un comité scientifique réunissant les meilleurs spécialistes du sujet, parmi lesquels des historiens (Jean-Louis Auduc, Jean Baubérot), des pédagogues (Alain Seksig, Maxime Priéto) et des experts de la BnF.

Une offre pédagogique : La Lettre des classes N°13 Partager les valeurs de la République. Les pistes pédagogiques de l’exposition virtuelle. Les textes de référence.

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