Revue de presse

A. Finkielkraut : "Être français, ce n’est pas être une composante de la diversité" (Le Point, 10 oct. 13)

15 octobre 2013

Alain Finkielkraut, L’Identité malheureuse, Stock, 2013, 240 p., 19,50 e.

" "L’Identité malheureuse" sort en librairie le 16 octobre et fait déjà débat. Le philosophe a répondu aux questions du Point.

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Le Point : On vous disait réactionnaire. Ne seriez-vous pas plutôt devenu identitaire ?

Alain Finkielkraut : Je ne suis certainement pas devenu identitaire, mais, depuis peu, je m’interroge sur l’identité française. Jusqu’à une date très récente, la France, je n’y pensais pas plus qu’à l’air que je respire. J’étais reconnaissant à mon pays des possibilités qu’il m’avait données d’être ce que je voulais être, mais je me définissais politiquement, et non nationalement : dans ma période progressiste, comme dans ma période antitotalitaire, l’universalisme était ma patrie. Le mot " identité " ne me venait à l’esprit que pour qualifier ou questionner la composante juive de mon être. [...]

Qui sont " ceux " dont vous parlez ? Les musulmans français ?

Je parle, précisément, des attaques contre la laïcité venues de la frange la plus militante et la plus sectaire de l’islam en France. En 1989 éclate l’affaire du voile au collège de Creil : Elisabeth Badinter, Régis Debray, Elisabeth de Fontenay, Catherine Kintzler et moi-même appelons le ministre de l’Education nationale à la fermeté dans un texte intitulé " Profs : ne capitulons pas ! " [1] Nous sommes alors critiqués de toutes parts. Et je découvre que la forme de laïcité que je tenais pour une valeur universelle est une singularité française. C’est ainsi que, tout d’un coup, l’identité nationale me revient dans la figure.

Parce qu’elle serait plus heureuse, cette identité, s’il n’y avait pas un seul immigré musulman en France ? Allons ! Vous savez bien qu’à l’heure de la mondialisation, économique et technologique, il est très difficile de construire un " nous "... L’immigration n’explique pas tout !

Nous sommes au confluent de deux phénomènes : une immigration que nous ne savons plus maîtriser, et qui débouche en France sur une crise aiguë de l’intégration, et un processus démocratique, lui-même incontrôlable, qui en vient à aplatir toutes les hiérarchies. Au nom du principe de " non-discrimination ", la France plonge voluptueusement dans l’océan de l’indifférencié.

Parce que vous, vous êtes pour les discriminations ?

Je suis pour le discernement. Or, au prétexte de lutter contre les discriminations, on renonce à l’assimilation, cette vertu de la civilisation française qui m’a permis d’être français sans m’empêcher d’être juif. Elle a d’abord été remplacée par l’intégration, puis, aujourd’hui, par la " société inclusive ", concept introduit dans un rapport du conseiller d’Etat Thierry Tuot. Ce fonctionnaire lyrique oppose, à une France repliée sur " la célébration du village d’autrefois ", la diversité de ses sources de peuplement et la magnificence de ses visages contemporains. Citant Novalis, il exalte " l’étranger, superbe aux yeux profonds, à la démarche légère, aux lèvres mi-closes, toutes frémissantes de chants ". Mais le village d’autrefois, c’est encore - pour combien de temps ?- la ville d’aujourd’hui, où règne la visibilité heureuse du féminin. C’est cette mixité française que protège l’interdiction du voile à l’école et de la burqa dans l’espace public. Ici, la coexistence des sexes ne doit pas être réglée par la séparation. Ce principe n’est pas négociable.

Il n’en soulève pas moins une difficulté de taille : comment distinguer la critique des idées et la haine des personnes, le refus d’un certain islam et le rejet des musulmans ?

Les lois sont là pour faire la différence. Une enseignante rencontrée lors d’un débat a eu cette phrase merveilleuse : " On n’exclut pas les jeunes filles, on exclut le voile. " C’est très simple.

Pas pour tout le monde... C’est ce que d’aucuns appellent l’islamophobie...

Pour ceux-là est islamophobe toute mesure qui entend soumettre les musulmans aux lois de la République, car ce qu’ils veulent, sous couleur de lutter contre le racisme antimusulman, c’est soumettre la République aux exigences de l’islam. L’islamophobie véritable consisterait à dire : votre religion est incompatible avec notre identité, vous n’avez rien à faire ici. Cette attitude doit être combattue avec la dernière énergie, mais nous avons le devoir, en vertu des lois mêmes de l’hospitalité, d’exiger le respect de nos règles et de nos valeurs.

Sauf que, quand vous dites " nous ", ils vous rappellent qu’ils en font partie puisqu’ils sont français. Ils ne sont plus des immigrés...

Mes parents non plus, et je détesterais qu’on me dise, à l’instar de Maurras, que, Français de fraîche date, je ne peux comprendre le vers de Racine : " Dans l’Orient désert quel devint mon ennui. " Reste que, pour moi, être français, ce n’est pas être une composante de la diversité française. La France en moi, ce n’est pas moi, c’est Racine.

Pour autant, l’identité française est-elle immuable, de sorte qu’il faudrait l’aimer ou la quitter ?

Je ne suis pas un Français de souche et, déjà, je suis français autrement que mes parents. Mais, en même temps, je ne suis pas français comme l’était le général de Gaulle. J’ai toujours en tête la phrase magnifique de Levinas sur Blanchot, auquel il fut lié par une indéfectible amitié. Pour Levinas, Blanchot était " comme l’expression même de l’excellence française ". Levinas n’était donc pas français comme Blanchot était français, et il le savait. Si on nous interdit ce savoir, on nous rend complètement idiots. C’est cela : l’antiracisme actuel fait de nous des imbéciles ! Au lieu d’un principe de résistance, c’est une forme de lobotomie. [...]

Si nous voulons, ou devons, vivre ensemble, ne faut-il pas se contenter d’une sorte de règlement intérieur ?

Quand, dans un quartier, il y a plus de femmes voilées que de femmes au visage et à la chevelure découverts, les autochtones s’en vont. Ils n’ont pas, comme on aime à dire, la " phobie de l’autre ". Ils se sentent devenir autres sur leur propre sol et ils ne le supportent pas. Ont-ils tort ? Ont-ils raison ? En tout cas, plus on parle de métissage, plus le territoire se couvre de frontières.

Et plus on célèbre la disparition des frontières, plus la popularité de Marine Le Pen grimpe.

Le malheur de la France, c’est bien que cette angoisse ne soit entendue et prise en charge que par des gens que je continue de considérer comme infréquentables. Mais quand d’autres s’y essaient, regardez ce qui leur arrive. Les ministres du gouvernement ont été invités à livrer leurs réflexions sur la France de 2025. Or on ne peut pas réfléchir à la France de 2025 sans faire des projections démographiques. Manuel Valls les a faites et en a conclu qu’il faudrait peut-être réviser la politique du regroupement familial. Un froid polaire est alors descendu sur le conseil des ministres. On se tient chaud jusqu’au sommet de l’Etat en fermant les yeux.

Nos gouvernants n’ont-ils pas raison de s’inquiéter du " vivre-ensemble ", si peu satisfaisant que soit ce terme à la mode ?

C’est lorsque, dans toujours plus d’établissements scolaires, l’enseignement devient un " sport de combat " que l’expression " vivre-ensemble " entre dans la langue commune. Le succès du mot vient de la désintégration de la chose. Dans les années 60 et 70, il y avait certes des luttes, mais la France, sans le savoir, était une nation homogène et le " vivre-ensemble " allait de soi. [...]"

Lire Alain Finkielkraut : "Être français, ce n’est pas être une composante de la diversité".




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