Revue de presse

A. Rosencher : L’homme est une soeur comme les autres (lexpress.fr , 15 sept. 20)

Anne Rosencher, directrice déléguée de la rédaction de "L’Express". 16 septembre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Une idéologie belliqueuse maquillée en progressisme avance, selon laquelle (entre autres) les hommes ne pourraient être féministes... Des dangers de l’essentialisation.

[...] Dans nos émissions de radio, mais aussi à la télé, à l’université, ou dans les colonnes des journaux, l’essentialisation - qui consiste à généraliser en blocs monolithiques des catégories de population sur un critère de genre, de religion, de couleur de peau ou de sexualité - fait désormais rage. La sociologie subventionnée y déploie son intimidant jargon tissé de "masculinité toxique" ("normes du comportement masculin qui sont associées à un impact négatif sur la société"), de male gaze ("point de vue de la culture visuelle dominante dans les magazines, le cinéma, etc., qui impose au public d’adopter une perspective d’homme hétérosexuel") et prône des luttes en "non-mixité", c’est-à-dire interdites aux hommes, substituant à la notion de fraternité celle de sororité - histoire d’extraire le "mâle" à la racine. Ne voient-elles pas que l’homme peut être une soeur comme les autres ?

Cette mécanique qui prend la partie pour le tout, et le tout pour l’adversaire, amène parfois à des saillies plus tonitruantes encore. Comme celle de l’activiste et élue parisienne EELV Alice Coffin, qui a récemment déclaré sur un plateau de télévision : "Ne pas avoir un mari, ça m’expose à ne pas être violée, ne pas être tabassée, et ça évite que mes enfants le soient aussi."

Parfois, une grande envie me prend de laisser ces dingueries à la bulle langagière des milieux militants et médiatiques. À quoi bon ? Il y a une France - très majoritaire - qui vit sans rien "calculer" de ces concepts prétentieux ; une France qui vit, ignorant tout des mines outragées qui prennent le bon sens en otage sur les plateaux télé. "La gravité est le bouclier des sots", ciselait Montesquieu... Et notre époque, qui glorifie l’émotion et l’indignation, renforce encore un peu l’efficacité métallique du blindage. C’est ainsi qu’une idéologie belliqueuse maquillée en progressisme avance, avec ses airs sérieux et offensés, renvoyant tous ceux qui disent ou pensent autrement à leurs privilèges supposés de genre ou de "race", leur déniant le droit d’avoir voix au chapitre pour leurs frères et soeurs en humanité.

"Plus de deuxième chance, écrit l’intellectuel Régis Debray : le stigmate bourgeois oppresseur n’était pas irrémédiable. On pouvait encore s’inscrire au Parti communiste, rejoindre la CGT ou un maquis au Mozambique. Mais avec ’le privilège de l’homme blanc’ - comment se racheter ? Le dermatologue, le psychanalyste ?" [1] L’étouffement du débat par le discrédit de l’autre sur des critères auxquels il ne peut rien devrait nous alerter. Toute l’histoire de l’humanisme réside dans le dépassement de l’altérité par la fraternité et la citoyenneté, et non par le découpage en groupes supposés homogènes par catégories de genre, d’origine ou de religion. Essentialisation, piège à con.ne.s.

Malgré la tentation, parfois, de céder par lassitude ou par confort à l’injonction de faire silence, je crois qu’il ne faut pas abdiquer. Car une nouvelle génération, très imprégnée de cette nouvelle doxa, doit savoir qu’il existe un autre féminisme, un autre antiracisme, qui ne sont ni honteux, ni "réac", ni hypocrites, auxquels on doit, au reste, les avancées encore incomplètes mais vertigineuses du dernier siècle. De plus, les dégâts de ces nouvelles radicalités sont loin d’être anecdotiques. Pour s’en convaincre, il suffit de mesurer comment les tenants de cette vertu granitique sont en train de s’en prendre à la liberté de création. Aux Etats-Unis, les éditeurs ont, cet été, tout simplement renoncé à publier un livre devant un tollé annoncé, au motif que ladite oeuvre raconte l’histoire d’une petite fille noire au temps de l’esclavage et que son auteur, Timothée de Fombelle, est un homme blanc. Voilà donc le nouvel air que nous respirons. Il est glaçant."

Lire "Anne Rosencher : L’homme est une soeur comme les autres".

[1Alignez-vous ! (Gallimard).



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