Tribune libre

A La Barbade, le triomphe du wokisme et de la cancel culture (Th. Martin)

par Thierry Martin. 14 janvier 2023

[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Connaissez-vous La Barbade ? Vous savez, cette île du Commonwealth britannique située dans la partie orientale de la mer des Caraïbes, ce paradis pas seulement fiscal ; célèbre pour ses plages de rêve et la chanteuse Rihanna, Shine bright like a diamond ; ou cet épisode de Friends où Ross y a été invité pour faire un discours pendant le congrès de paléontologie, malheureusement tous ses amis venus « soi-disant » l’écouter sont douchés par une météo épouvantable.

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A ma connaissance Benedict Cumberbacht n’a jamais fait une seule apparition dans Friends même en guest star. En revanche si les Barbadiens le connaissent c’est qu’il a joué en 2013 dans le film primé aux Oscars 12 ans d’esclavage. Benedict Cumberbatch jouait un propriétaire de plantation. It was also close to the bone - c’était vraiment près de l’os comme disent les Anglais. Ses ancêtres ayant dirigé une plantation d’esclaves à la Barbade au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Ce qui eut pu, paradoxalement, réjouir les adversaires de l’"appropriation culturelle" si l’on oublie l’axiome wokiste du péché originel du mâle blanc occidental.

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On a tous adoré Benedict Cumberbacht l’année suivante dans The Imitation Game jouant le rôle d’Alan Turing, film inspiré de la vie du mathématicien et cryptanalyste britannique, notamment l’épisode de la Seconde Guerre mondiale quand il craque Enigma le code utilisé par l’armée allemande.

Abraham Cumberbatch propriétaire d’une plantation de canne à sucre en 1727

Dans une interview donnée au New York Times il confiait que « sa mère l’avait exhorté à ne pas utiliser son vrai nom professionnellement, craignant qu’il ne devienne la cible de poursuites en réparation par des descendants d’esclaves ». Qui a dit que les mères n’avaient pas d’instinct ?

Parce que Abraham Cumberbatch, marchand établi à Bristol, avait acquis en 1727 une plantation de canne à sucre à Cleland dans le nord de la Barbade, refait surface. Le domaine qui compta jusqu’à 250 esclaves, fut racheté l’année 1834 lors de l’abolition de l’esclavage. Les ancêtres de l’acteur, en plus des fruits de la plantation, auraient récupéré une somme équivalant à 1 million d’euros actuels correspondant au dédommagement.

En 2018, l’acteur avait dit au Telegraph combien il trouvait “choquant” ce volet de l’histoire de sa famille : “Il ne faut pas chercher bien loin pour trouver le passé esclavagiste de notre famille”. Toujours battre sa coulpe.

Benedict Cumberbacht n’est pas le seul à avoir maille à partir avec le gouvernement de la Barbade. Des négociations sont en cours avec le millionnaire et député conservateur britannique Richard Drax. La Barbade reproche à la famille Drax d’avoir joué un rôle prédominant dans le commerce triangulaire et le développement de l’industrie sucrière sur l’île, à partir du XVIIe siècle. D’autant plus que la famille est toujours propriétaire d’une plantation à la Barbade. Si l’accord sur les réparations ne va pas à son terme, la justice pourrait être saisie. Tout ça n’est qu’un début. Une Commission pour les réparations a été instaurée par la Communauté caribéenne (Caricom), dont la Barbade est un État fondateur. 

Le micro-État caribéen a intronisé en novembre 2021 la présidente Sandra Mason, élue au suffrage universel indirect, comme chef d’État, en remplacement de la reine Elizabeth II. "Moi, Sandra Prunella Mason, jure d’être fidèle et de porter une véritable allégeance à la Barbade conformément à la loi, avec l’aide de Dieu", a-t-elle prêté serment.

Le changement est essentiellement symbolique pour la Barbade, indépendante depuis 1966, qui reste membre du Commonwealth [1] mais a vu disparaître les insignes de la Reine ainsi que le terme "royal" du nom de ses institutions. 

Cependant, ce changement de statut est loin d’être anodin pour une île dont 90 % de la population descend de peuples africains ayant connu un passé colonial. Selon l’historien Hilary Beckles, président de la commission des réparations pour la Communauté des États caribéen (Caricom), la Barbade aurait servi de laboratoire à "la première société esclavagiste britannique". Le décret de 1636 sur l’esclavage à vie à la Barbade est en effet l’un des tout premiers exemples de législation sur l’esclavage.

Pour certains militants, comme Firhaana Bulbulia, fondatrice de l’Association des femmes musulmanes de la Barbade, la colonisation britannique et l’esclavage seraient aujourd’hui directement responsables des inégalités sur l’île. "Les écarts de richesse, la capacité à être propriétaire, même l’accès aux prêts bancaires, tout cela est lié aux structures créées sous le pouvoir britannique", déclare la jeune femme de 26 ans à l’AFP.

Une nouvelle génération de Barbadiens, influencés par le mouvement Black Lives Matter

Élue en 2018, la Première ministre Mia Mottley a largement porté ce projet d’émancipation vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Cette idée couvait depuis de nombreuses années, voire plusieurs décennies, mais l’arrivée d’une nouvelle génération de Barbadiens, influencés par le mouvement Black Lives Matter, a tout accéléré. "Black Lives Matter a en effet constitué la toile de fond de ce mouvement qui veut se démarquer de l’histoire coloniale et assumer pleinement la souveraineté du pays," explique à France 24 Matthew Graves, professeur d’histoire britannique à l’université d’Aix-Marseille.

Symbole de ce nouvel état d’esprit, le déboulonnage l’année dernière de la statue de l’amiral Horatio Nelson organisé par les autorités barbadiennes. La statue du navigateur britannique, jugé proche des esclavagistes, avait alors été retirée de la place des Héros dans la capitale Bridgetown pour rejoindre le Musée de la Barbade. À New York, fin 2021, la mairie a enlevé la statue de Thomas Jefferson, désormais réduit à un ancien esclavagiste. BLM règne. C’est le triomphe du wokisme et de la cancel culture.

D’autres événements ont également alimenté cette réflexion sur "la décolonisation des esprits", notamment les accusations de racisme à l’encontre de la famille royale lancées par le prince Harry et sa femme Meghan. Même si l’historien télévisuel Stéphane Bern rappelle qu’« On peut accuser la famille royale d’être conservatrice, désuète, mais ils ne sont certainement pas racistes. La famille de Mandela, que la reine avait soutenue, s’est d’ailleurs désolidarisée du prince Harry. »

Ou encore en 2018, le scandale plus complexe de la génération Windrush - du nom de l’Empire-Windrush, l’un des premiers bateaux desquels des caribéens ont débarqué depuis la Jamaïque en 1948 -, ces immigrés d’origine caribéenne et leurs descendants, arrivés légalement au Royaume-Uni, se sont retrouvés menacés d’expulsion à la suite d’un changement de législation.

"Cependant, il ne faut pas y voir un événement catalyseur d’un début d’effondrement du Commonwealth", prévient l’universitaire d’Aix-Marseille. "D’autres pays comme le Guyana en 1970 ou encore Trinité-et-Tobago en 1976 ont choisi de retirer à la reine d’Angleterre sa position de chef d’État tout en restant au sein du Commonwealth".

Thierry Martin
auteur de
BoJo, un punk au 10 Downing Street,
Amazon, 2022, 312 p., 14,98 €.

[1Crée en 1949, le Commonwealth comporte aujourd’hui 56 pays membres, le Gabon et le Togo (des pays francophones) l’ayant rejoint le 25 juin 2022, et constitue un élément majeur de l’influence britannique dans le monde, en particulier depuis le Brexit. Il permet également à de petits États comme la Barbade de se faire entendre sur la scène internationale. En avril 2018, les pays du Commonwealth avait déjà voté en faveur d’une succession d’Elizabeth II par le prince Charles à la tête de l’organisation.


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